29.01.2021

La pandémie de COVID-19 a contraint les gouvernements à prendre des mesures exceptionnelles afin de contrôler et maîtriser la propagation du coronavirus. L’une d’entre elles a consisté en l’instauration d’applications de traçage dans la plupart des Etats membres de l’UE, en vue de collecter des données sur les citoyens qui ont contracté le virus et de tracer leurs contacts; une mesure qui a inévitablement nécessité un compromis entre protection de la vie privée et prévention efficace des contaminations.

La pratique du traçage se généralise également dans les entreprises. Au fil de l’augmentation explosive du nombre de travailleurs en télétravail, les chefs d’entreprise ont dû revoir et adapter leur stratégie de management. Certaines entreprises ont investi dans des outils de type “Big brother” qui leur permettent de suivre précisément ce que leurs travailleurs sont en train de faire lorsqu’ils travaillent à distance, tels que des logiciels qui enregistrent leurs frappes sur le clavier ou prennent des photos de leur écran.

Alors que l'action des pouvoirs publics et les applications de suivi des contacts constituent une atteinte à la vie privée dans le cadre de l’intérêt général, à savoir juguler la pandémie et limiter les pertes en vies humaines, le monitoring numérique des travailleurs a pour seul but de prévenir la perte de productivité. Alors que les gouvernements seront tenus responsables de leurs politiques, les stratégies des entreprises sont menées à la discrétion de la direction, et tout consentement des travailleurs est largement affaibli par les rapports de force inégaux entre employeurs et travailleurs.

Cela en vaut-il la peine?

Sur la base de la moralité de cette pratique, on pourrait dénoncer ce monitoring numérique. Il serait toutefois plus simple de laisser les données parler d’elles-mêmes: “l’enquête sur les entreprises en Europe” (ECS) de 2019 montre que le management basé sur le monitoring et le contrôle est en fait mauvais pour les entreprises.

Dans la plupart des entreprises prospères, les dirigeants semblaient plus enclins à permettre aux travailleurs de travailler de manière autonome qu'à contrôler s'ils accomplissaient leurs tâches. Une surveillance étroite du comportement des travailleurs peut effectivement garantir que ceux-ci font leur travail, mais il est alors peu probable qu'ils soient motivés pour en faire davantage que ce qui figure dans leur description de fonction.

Les bons dirigeants, en revanche, reconnaissent qu'un certain degré d’autonomie constitue un facteur de motivation et que restreindre cette autonomie en exerçant un contrôle peut précisément s’avérer contre-productif. Au lieu de nuire à la confiance en créant de la méfiance par le contrôle, ils optent pour une approche stimulante qui vise à mettre en adéquation les intérêts des travailleurs et ceux de la direction.

Cette approche est particulièrement efficace lorsque les incitants vont au-delà de l’aspect financier et sont induits par le contenu même de la fonction (“job design”) et la manière dont le travail est organisé. Le contenu d’une fonction peut être conçu de manière à constituer un défi pour les travailleurs tout en leur laissant l'autonomie nécessaire pour relever eux-mêmes ces défis, ce qui leur permet d'apprendre et de tirer une satisfaction de leur travail.

Une bonne forme de “job design” doit avoir pour corollaire un développement étendu des compétences, en offrant à tous les collaborateurs un éventail de possibilités de formation et d'apprentissage. En outre, la participation des travailleurs doit être facilitée en les associant directement à la prise de décisions stratégiques et en engageant un dialogue social sur le lieu de travail avec les représentants des travailleurs, créant ainsi un sentiment de participation et d'implication.

Management encourageant versus soupçonneux

Les dirigeants qui ont investi dans le monitoring numérique en réponse à l'augmentation du travail à distance devraient réfléchir aux pratiques plus larges sur le lieu de travail dans leur entreprise. Ils passent sans doute à côtés d’opportunités d'accroître la motivation et la productivité de leurs travailleurs, qui découlent de l'amélioration du “job design” et de l'optimisation des canaux de communication entre travailleurs et dirigeants.

Les dirigeants devraient réfléchir à leur propre attitude, car l'ECS 2019 démontre clairement que les pratiques qui permettent aux travailleurs de fonctionner de manière autonome, d’utiliser et développer leurs compétences et de partager leurs connaissances et leurs idées avec leurs collègues et la direction, sont payantes lorsqu'elles sont associées à un management encourageant.

Les travailleurs doivent pouvoir être sûrs que la direction ne profite pas d'eux ; ils seront alors motivés à fournir un effort supplémentaire. Et comme la confiance engendre la confiance, la méfiance déployée en vérifiant systématiquement si les travailleurs frappent assez souvent sur les touches du clavier et ne font jamais d’achats en ligne n'est pas une bonne base de départ.

Et quand la vie normale reprend

Ces considérations s'avéreront également utiles lorsque les travailleurs retourneront sur leur lieu de travail dans l'entreprise. À cet égard, tous les chefs d'entreprise doivent essayer de tirer les leçons de la récente “expérience COVID”.

De nombreuses entreprises n'ont pas utilisé d'outils de monitoring numérique, mais ont plutôt adopté une approche proposant soutien et encouragements pour garantir la continuité des activités et la productivité des travailleurs. Les entreprises devraient saisir l'occasion de conserver ou développer cette gestion du personnel, en cherchant à stimuler et motiver les travailleurs plutôt que de revenir aux anciennes pratiques, simplement parce qu’ils en ont la possibilité.

Les gouvernements et les partenaires sociaux peuvent aider les entreprises en proposant des formations aux dirigeants afin d'améliorer leurs compétences en matière de gestion du personnel et en facilitant le partage des connaissances et l'apprentissage croisé. Les décideurs européens et nationaux pourraient aller plus loin et assortir tous les fonds d'aide COVID-19 de directives ou même d'exigences en matière de gestion des ressources humaines.

Un nombre croissant de citoyens qui se sentent spoliés de leurs droits se réfugient dans les rhétoriques populistes et les théories du complot, qui sapent nos institutions démocratiques et limitent l'efficacité des actions de quelque gouvernement que ce soit contre la pandémie de COVID-19.

Étant donné que des travailleurs mécontents peuvent devenir des citoyens mécontents, il est clair et urgent sur le plan social, de veiller à ce que les travailleurs soient traités avec respect sur le lieu de travail. Mettre l'accent sur le cas d’étude de la gestion du personnel pourrait décourager les entreprises de recourir à Big Brother sur le lieu de travail et empêcher qu’une étape soit franchie en direction du type de régime contre lequel le livre “1984” d'Orwell nous met en garde.

(Source: Eurofound)